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Miroir, oh mon miroir, dis-moi que je suis moi !

  • journaliste : M. Julienne
  • expert : F. Delfour
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Que se passe-t-il si un éléphant croise son reflet dans un miroir ? Et une fourmi aurait-elle la même réaction dans cette situation qu'un chimpanzé ou qu'un humain ? C'est le genre de questions qu'il faut se poser pour savoir qui nous sommes…

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Eléphant devant miroir
Selon une expérience menée récemment avec trois éléphants de zoo, ce pachyderme reconnaîtrait son image dans le miroir. © Diana Reiss/Wildlife Conservation Society

Quel point commun entre un enfant de deux ans qui tire la langue, un chimpanzé qui grimace, une orque qui fait des bulles et un éléphant qui jette sa trompe en l'air ? Aucun, s'ils sont dans la nature. En revanche, s'il se trouve que les quatre sont placés, oh quel heureux hasard, devant un miroir, et que les quatre ont (oh encore une fois quel hasard !), une tâche de couleur sur le front, alors ils sont en train de faire une curieuse expérience : celle de la prise de conscience d'eux-mêmes, rien de moins.

Faites le test avec votre petit frère, votre jeune neveu, votre lapin de compagnie… ou l'éléphant du zoo le plus proche. Pendant qu'ils sont endormis, imprimez-leur une tâche de couleur sur le front : un bon feutre, un coup de rouge à lèvres ou un peu de mercurochrome feront l'affaire. Puis, au réveil, placez-les devant un miroir. Selon l'âge de l'individu et son espèce, on observe des comportements très différents :
- L'étonnement : tiens, c'est qui celui-là ? Je peux le toucher ? Il réagit si j'essaie de lui prendre sa tétine ? Et si je le chatouille là sous les bras ? Et cette tâche, sur son front, c'est marrant ! Elle s'efface si j'essuie le miroir ? Peut-être qu'il faut que je passe derrière ce truc en verre pour l'attraper ? Réaction typique d'un enfant d'un an et demi… ou d'un ouistiti, par exemple.


- L'agressivité : qui c'est celui-là, qui me regarde, en veut-il à mes poils ? Ou veut-il me piquer ma sœur, qui joue là derrière moi ? Réaction typique du singe capucin, pour qui, dans la nature, le contact visuel direct est un signe d'agression.
- L'indifférence : Réaction typique de l'enfant de deux mois, de la fourmi, dont on ne sait pas bien en fait comment ils interprètent ce reflet d'eux-mêmes.
- La joie, l'excitation : eurêka j'ai trouvé ! Mais bien sûr, il suffit que j'aille frotter mon front sur la paroi du bassin, ou que j'essuie mon propre nez avec ma manche, pour que la tâche disparaisse... se disent l'orque, l'éléphant et l'enfant de deux ans. Ce guignol-là dans le miroir, ce n'est autre que moi…

Et dire qu'il y a des chercheurs et des psychologues qui ont passé des heures à regarder la réaction des enfants, des mammifères et même des oiseaux devant un miroir ! Tout cela pour quoi ? Pour tenter de savoir à partir de quand un individu (homme ou animal) sait que "je", c'est moi et pas l'autre.

C'est un psychologue, Henri Wallon, qui a le premier mis en évidence ce stade du miroir comme une étape marquante du développement psychologique de l'enfant. À partir du moment où il tente d'effacer la tâche sur son nez et non sur la vitre/ l'individu d'en face, il a acquis un sentiment d'identité. Pour l'enfant, c'est angoissant : il comprend qu'il ne fait pas partie de sa mère, qu'il a son propre corps et qu'il est autonome.

Après les psychanalystes, les éthologues - qui étudient les comportements des animaux - ont tenté l'expérience. Il faut savoir que chez les éthologues, il existe deux camps. Ceux qui pensent que l'animal est un sujet à part entière, avec une vie psychique, des sentiments. Ceux qui estiment que l'animal doit être considéré en tant qu'espèce et non en tant qu'individu, et pour qui des études de ce type, psychologiques, n'ont absolument aucun sens.

Donc nous ne faisons parler ici que les premiers, puisqu'ils sont les seuls à avoir fait passer ce test, essentiellement aux mammifères et aux oiseaux. "Il nous faut prendre des espèces chez qui le sens visuel est important, explique Fabienne Delfour, éthologue. Le miroir est un outil utilisé pour interroger les animaux sur leur capacité à reconnaître leur image visuelle. Il serait vain de faire passer ce test à des fourmis, très performantes au niveau détection chimique, mais moins au niveau discrimination visuelle."

Les premières expériences ont été faites dans les années quatre-vingts avec les chimpanzés, puis les dauphins. Tout récemment, des chercheurs ont travaillé avec trois femelles éléphants (voir la vidéo). L'une a parfaitement réagi, touchant 47 fois avec sa trompe la petite croix blanche faite à son insu. Ses deux autres compagnes de zoo sont restées indifférentes, et n'ont pas non plus cherché à entrer en contact avec leur double. En revanche, elles se sont longuement auto-observées, l'une ayant même ouvert sa bouche avec sa trompe et examiné son palais avec curiosité…

On ne peut donc encore conclure avec certitude que les éléphants réussissent le test du miroir.

Orque
Devant un miroir, placé sous l’eau, l’orque se met à jouer avec son reflet ou à tirer la langue. © dinosoria.com
Fabienne Delfour, elle, a mené ses expériences dans un aquarium, avec des orques. Résultats ? Une orque à laquelle elle avait mis une tâche sur le front est allée plusieurs fois se frotter contre le bassin pour l'enlever. Une autre, à qui elle n'avait pas fait de tâche, s'est mise à jouer avec son reflet, à tirer la langue (que les orques ont très grosse et très rose !), à faire toutes sortes de bulles différentes... Pendant ce temps, aux États-Unis, ses collègues menaient les mêmes expériences avec des dauphins, et obtenaient les mêmes résultats : sauf que les dauphins ne tiraient pas la langue, qu'ils ont fort petite, mais faisaient plutôt des bulles et remuaient la tête. "Ce qui est important, c'est la répétition de ces comportements, souligne Fabienne Delfour. Quand vous placez une caméra au-dessus d'un groupe de personnes humaines, 90 % des individus font un coucou de la main. De même, si vous tendez un miroir à des mammifères marins, ils vont venir faire les zouaves devant."

Certains animaux auraient donc bien une conscience d'eux-mêmes. Encore faut-il reproduire certaines de ces expériences à plus grande échelle, et comprendre comment émerge ce phénomène. Et ensuite ? "Le but n'est pas de comparer une conscience humaine et une conscience animale, explique Fabienne Delfour. Mais nous supposons que cette forme particulière de "conscience de soi" de l'animal est nécessaire à la conscience des autres, et pourrait intervenir dans des rapports de tromperie ou d'empathie - dans les groupes animaux. Certains actes chez les animaux seraient intentionnels."

"Un éléphant, ça trompe énormément… et intentionnellement", faudra-t-il peut-être ajouter bientôt à la comptine…


Remerciements à Fabienne Delfour, éthologue et directrice d'une formation en éthologie

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