Les forêts : soldats de bois contre effet de serre
journaliste :A. Joseph
expert :É. Dufrêne
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Peut-on utiliser les forêts pour
lutter contre l’effet de serre ? Si l’on comprend mieux comment les
arbres captent le carbone dans un climat changeant, pourra-t-on choisir
de planter les espèces les plus "gourmandes" en CO2 ? Pour réduire le
CO2, une étude européenne tente de simuler le comportement des forêts
européennes.
En 2004, selon le dernier rapport du Giec (2007) 56% des émissions de CO2
anthropiques provenaient de la combustion d’énergies fossiles, mais
presque 20% de la déforestation ! En effet, lorsqu’on laisse du bois
coupé sur place, il pourrit et relargue dans l’atmosphère le CO2
qu’il avait absorbé lors de sa croissance. Idem lorsqu’on le brûle
(chauffage ou cuisine). Par ailleurs la déforestation a généralement
pour objectif la reconversion des friches en terre agricoles… qui
n’absorberont quasiment pas de CO2.
Pour réduire ou
capturer ces émissions, différents axes de recherches sont explorés
parmi lesquels le potentiel d’absorption de CO2 de la forêt.
Les forêts consomment déjà 10 % à 20% du gaz carbonique en Europe.
Pourront-elles continuer à le faire dans un climat futur plus chaud et
plus sec ? Quelles sont les espèces adaptées à ce climat futur qui
continueront à rendre les même services à l’homme (fixation de CO2, production de bois, biodiversité, etc.) ?
Pour répondre à ces questions, encore faut-il comprendre les mécanismes qui régissent les échanges de CO2
entre l’atmosphère et les forêts. Il s’agit principalement de la
photosynthèse, de la croissance, et des respirations de l’arbre et du
sol. C’est justement l’objet des recherches d’Éric Dufrêne, responsable
du département Écophysiologie végétale au laboratoire d’Écologie
Systématique et Évolution du CNRS et de la faculté d’Orsay. Dans le
cadre du projet européen, CarboEurope, l’équipe d’Éric Dufrêne a mis au
point un modèle mathématique simulant les échanges gazeux entre la
végétation et l’atmosphère. Pour 2010, l’objectif est de confronter ce
modèle aux données obtenues sur cinquante sites forestiers européens.
C’est dans la forêt de Barbeau, située à proximité de Fontainebleau, que
l’équipe d’Éric Dufrêne effectue les mesures. In fine, elles serviront à
prendre d’importantes décisions politiques.
*
Entre 1970 et 2004, les émissions annuelles de CO2 ont augmenté de 80%,
passant de 21 gigatonnes à 38 gigatonnes. Elles représentent 77% des
émissions de gaz à effet de serre anthropiques.
Les
sociétés d’autoroutes rappellent que la végétation en bordure des axes
majeurs se porte à merveille. Et pour cause : le gaz émis par les pots
d’échappement, le CO2, sert de matière première aux végétaux
lors de la photosynthèse. Le mécanisme repose sur l’ouverture, en
présence de lumière, de petits trous situés à la surface des feuilles et
appelés stomates. C’est par ces ouvertures que la plante absorbe le CO2 et récupère le carbone qui servira à la constitution des sucres nécessaires à la croissance. Une partie du CO2
absorbé en journée est lentement diffusée durant la nuit à travers la
cuticule des feuilles et d’autres organes de la plante, grâce à un
mécanisme appelé "respiration". Le bilan de ces échanges fait que
l’arbre est considéré comme un puits de carbone : il stocke davantage de
carbone qu’il n’en émet. Le CO2 est donc un stimulant de la
croissance des arbres. D’ailleurs, d’après des recherches menées en
serre par l’Institut National de la Recherche Agronomique, un doublement
de la teneur en CO2 provoque une augmentation de 40 % de la
croissance des arbres. Cet effet varie selon les espèces forestières :
les feuillus, par exemple le hêtre, sont plus sensibles aux variations
de CO2 que les résineux, comme par exemple le sapin.
Si les arbres absorbent le CO2, ils le rejettent
également : lorsqu’ils meurent et pourrissent sur place, mais aussi
chaque automne lorsque des feuilles tombent au sol. Le CO2
libéré par cette décomposition conduit à des concentrations dans le sol
forestier qui peuvent se révéler 25 fois supérieures aux concentrations
atmosphériques ! En relâchant progressivement ce CO2 vers l’atmosphère, le sol participe à 50 voire 70 % du flux général de carbone entre l’écosystème forestier et l’atmosphère.
Un autre mécanisme peut intervenir indirectement dans la fixation du CO2
: c’est la transpiration. L’essentiel de l’eau absorbée au niveau des
racines est "transpiré" sous forme de vapeur d’eau au niveau des
stomates des feuilles. Par une belle journée d’été, un arbre de 25
mètres de haut puise quotidiennement 80 litres d’eau dans le sol. Dans
le même temps, il fixe environ 600 g de carbone soit 1,6 kg de sucres.
Si une sécheresse sévit, les racines ne peuvent plus prélever l’eau et
les stomates se referment pour éviter le desséchement de l’arbre. En se
refermant, ils interdisent toute possibilité de capter du CO2
et donc de fabriquer - par la photosynthèse - les sucres nécessaires à
la croissance. L’arbre ne pousse plus. De surcroît, si la sécheresse se
prolonge, les feuilles s’échauffent au point d’atteindre des
températures dépassant les 40 à 45 °C. Leurs protéines sont alors
détruites, la feuille jaunit et meurt.
Si l’arbre a assez de
réserves, il les utilisent pour sa respiration et peut ainsi survivre
puis essayer de reconstituer ses réserves l’année suivante. Sinon, il
meurt à petit feu. C’est le scénario qui s’est déroulé durant la
sécheresse de l’été 2003. Sept ans plus tard, en forêt de Fontainebleau
comme dans beaucoup d’autres forêts, le hêtre et le chêne pédonculé
dépérissent. "Le chêne sessile est peut être également touché, informe Eric Dufrêne. Mais Barbeau n’est pas touchée en raison de la bonne réserve en eau du sol, composé d’argile et de meunière."
L’impact global de cet événement sur la végétation (résistance aux
pathogènes, dépérissement des arbres, changements de végétation,...)
reste encore mal connu. En revanche, une étude du CEA-CNRS, publiée dans
la revue scientifique Nature en septembre 2005, montre que durant la
canicule, la capacité de stockage des écosystèmes terrestres européens a
été réduite d’une quantité équivalente à trois années d’émissions de
gaz à effet de serre* en France ! Or, d’après les climatologues, cette
vague de chaleur préfigure une situation à l’avenir de plus en plus
prégnante. Ce qui soulève d’importantes questions sur l’aptitude des
écosystèmes terrestres, notamment les forêts, à s’adapter. Et sur nos
moyens de les aider à s’adapter.
* Nos émissions annuelles de gaz à effet de serre en France sont d’environ 600 millions de tonnes équivalent CO2.
Selon Éric Dufrêne, responsable du département Écophysiologie végétale au laboratoire d’Écologie Systématique et Évolution, "pour
cerner la capacité des forêts à fixer du carbone dans un environnement
climatique changeant, il faut comprendre les mécanismes qui déterminent
les flux entre les différents réservoirs de carbone que sont le sol - en
distinguant le rôle des microorganismes de celui des racines - le
tronc, les feuilles ou les branches."
Dans cette optique, il
a élaboré un modèle mathématique décrivant les principaux mécanismes
(photosynthèse, respiration, distribution des sucres et croissance,
etc.) qui régissent les échanges de carbone et d’eau des réservoirs
entre eux et avec l’atmosphère. Pour l’instant, Éric Dufrêne vérifie la
pertinence de son modèle. Pour cela, son équipe recueille chaque semaine
les flux de carbone échangés entre l’atmosphère et la forêt de Barbeau,
située à 50 km au sud de Paris. "Nous avons choisi d’étudier
Barbeau car cette forêt est âgée de plus de 150 ans, ce qui est assez
rare dans les études portant sur ce sujet."
Le travail
d’Éric Dufrêne s’inscrit dans le cadre de projets européens,
CarboExtreme et GHG-Europe, dont l’ambition est d’éclaircir les
connaissances sur les flux de carbone entre les écosystèmes et
l’atmosphère. Sur la centaine de sites participant à cette recherche, la
moitié sont des forêts, l’autre moitié sont des prairies, des terres
agricoles, etc. La diversité du panel doit coller au mieux à la
complexité inhérente à la réalité : variétés des espèces, des sols, des
climats, des modes de gestion, des histoires. Comme sur chacun des sites
européens, Barbeau comporte une tour de 35 mètres de haut, qui
surplombe le couvert végétal étudié. Outre un appareil de mesures du
flux de carbone émanant de la forêt, la tour dispose d’instruments
enregistrant en permanence la pluviométrie, le taux d’humidité, le
rayonnement incident provenant du soleil, etc. Tous ces paramètres,
ainsi que leurs interactions, doivent trouver une place dans le modèle
mis au point par les écophysiologistes. C’est un exercice de haute
voltige. Le modèle doit par exemple tenir compte de la croissance
respective de chaque réservoir. Si la croissance se concentre sur le
réservoir "feuille", la surface globale des feuilles va augmenter,
provoquant un bond de l’activité photosynthétique de même que la
transpiration et donc modifier la réserve en eau du sol. La rétroaction
est tout a fait différente si le carbone assimilé, autrement dit la
croissance, se localise davantage dans le tronc ou les racines.
Une
fois le modèle validé sur chaque site, les scientifiques simuleront la
réaction de l’écosystème forestier à l’échelle européenne. Pour
l’instant, le modèle à été adapté aux principales espèces forestières
européennes : Hêtre, Chêne sessile, Chêne vert (méditerranéen), Epicéa,
Pin sylvestre, Pin maritime (Landes). On a montré que si les été chauds
et secs (comme l’été 2003) diminuent la fixation de carbone, en revanche
les hivers doux (comme l’hiver 2006-2007) favorisent la fixation de
carbone et cela depuis la région méditerranéenne jusqu’au nord de la
Finlande. Cette fixation de carbone supplémentaire s’explique chez les
feuillus par une augmentation de la période feuillée (saison de
végétation) et chez les conifères par une augmentation de la
photosynthèse hivernale et printanière (les températures chaudes
augmentent la photosynthèse des conifères).
Ces
résultats sont d’autant plus intéressants que c’est précisément dans
les zones tempérées et boréales, comme en Europe, que les forêts jouent
le mieux leur rôle de puits de carbone. D’abord parce que les surfaces
forestières sont en extension. En France par exemple, elles ont doublé
en moins d’un siècle. Mais aussi, parce qu’on y constate un allongement
de la saison de végétation - probablement en corrélation avec l’effet de
serre - donc une fixation de carbone plus importante. En effet, les
enregistrements européens montrent que depuis 50 ans, la date
d’ouverture des bourgeons foliaires au printemps avance d’environ deux
jours tous les dix ans. Toujours dans les zones tempérées, la présence
de composés azotés issus des intrants agricoles augmente également la
fertilité des sols.
À l’inverse, les forêts tropicales humides,
telle que l’Amazonie, présentent souvent un bilan carbone proche de
zéro. Ce sont des réservoirs de carbone considérables, mais leurs
perspectives d’accroissement sont réduites : la décomposition de leurs
végétaux émet autant de dioxyde de carbone que la photosynthèse n’en
absorbe. C’est d’ailleurs le cas pour toutes les forêts parvenues à
"maturité", c’est-à-dire âgées de plus de 100 ans. Ce qui explique que,
contrairement aux idées reçues, les forêts ne sont pas toutes des puits
de carbone. Pour l’heure, difficile d’établir une carte des forêts
assumant encore leur rôle de puits de carbone.
Pour
les gestionnaires forestiers il y a urgence à prendre des décisions
devant les dépérissements en cours. Mais pour le scientifique qu’est
Éric Dufrêne, un modèle est toujours perfectible. "La difficulté est de
savoir à partir de quel degré d’incertitude nous pouvons considérer le
modèle acceptable pour prendre des décisions politiques."
Les
résultats des projets en cours orienteront les décisions à plusieurs
niveaux, économique, politique et sociétal. Les politiques agricoles
devront s’ajuster afin que les terres arables ne soient plus des sources
de CO2 mais des zones neutres voire, grâce à des formes d’agriculture
alternatives, des puits de carbone. Tout comme les pratiques sylvicoles
ou les politiques de gestion forestière.
Par exemple, vaut-il
mieux laisser une forêt sur pied même si elle est arrivée à maturité
sachant qu’elle ne joue plus son rôle de puits de carbone ? Certains
préconisent déjà de couper ce bois pour l’utiliser dans la construction
afin qu’il n’entre pas, en tombant au sol, dans le cycle de la
décomposition émettrice de dioxyde de carbone. Et pourquoi ne pas
l’utiliser comme bois de chauffage ? En terme d’écobilan, brûler du bois
à la place d’une énergie fossile est préférable. Avec un dispositif
adapté, tel que des chaudières à bois, la combustion du bois-énergie
émet douze fois moins de gaz à effet serre en équivalent carbone que le
charbon, sept fois moins que le gaz naturel et deux fois moins que la
filière électricité, pour un même pouvoir calorifique.
Ces choix
devront néanmoins respecter la biodiversité afin que les écosystèmes
séculaires, véritables mines pour les scientifiques et capital
historique, ne soient pas sacrifiés en coupe rase.